Certes ce n’est pas d’aujourd’hui, mais le glissement sémantique qui fait se confondre « formation » et « formation professionnelle », depuis 2004, laisse à penser qu’il n’est plus de formation (voire d’éducation ou d’accompagnement) sans intention professionnalisante et opérationnalité immédiate.
Toutes les universités, les écoles, les centres de formation, les centres de recherche, et autres prestataires et conseils, l’ont « compris », plus ou moins volontairement, et ont mis au point nombre de certifications, d’actions et de parcours de formation, ou d’offres de service dits « professionnels », spécialisés et « ciblés ». Mais dans le même temps, « l’on » se plaint, aujourd’hui, que ces « professionnels formés » sont « incapables de s’adapter, ont des difficultés à communiquer, ou à être curieux, « motivé », manquent de culture générale, etc… », en fait tout ce qui ne s’apprend pas spécifiquement en situation d’activité professionnelle. Et donc certains concepts conceptualisés à vocation conceptualisante, dirait Bourdieu, comme le « savoir-être » (qui sait « être » au point de l’enseigner sérieusement… en 2 jours ?), viennent s’inviter dans des « compétences transverses (?) ou transversales (alias des « soft skills »)» pour rendre « professionnelle » cette complexité humaine, résultatif de l’expérience de vie de chacun, que de savoir vivre avec (voire pour) les autres, que de savoir agir ou être en mouvement. La formation, comme l’éducation, pour être humainement et professionnellement « efficace » doit-elle être pensée et faite comme formation « professionnelle » ? depuis 2004 les lois disent que oui. De nombreux travaux nous permettent d’en douter. Et si pour répondre aux besoins des entreprises, l’humain devait vivre et « faire » son expérience du monde pour construire des connaissances et des pratiques dans un contexte d’entraide, de bienveillance, de confiance, d’échecs sans conséquence, de temps laissé pour « maturer », de confrontations et d’entrainement au collectif… pas forcément ce que peuvent proposer et laisser faire les entreprises, car leur objectif principal est logiquement ailleurs : produire. Cette confusion ne sert finalement ni la personne, ni le collectif, ni l’entreprise. Entrer en formation, apprendre de la vie quotidienne, peut aussi (surtout ?) se faire non pas avec un objectif de « projet professionnel » pensé et formalisé, quasi obligation de l’époque, mais pour se tester, découvrir les possibles, rencontrer, se construire… et peut-être un jour nourrir un projet… projet de vie avant d’être éventuellement professionnel. C’est ce qui fait la différence, dans un constat a posteriori de recruteurs (!) et de ce que « les anciens » appelaient « consistance » face à « subsistance ». Il est cocasse de noter que cette construction de soi, la « consistance », se nommait « otium » (qui a donné oisif) par opposition au « negotium » (qui a donné négoce) le non otium, l’obligation de faire sa subsistance.